Entretien avec David Porter – Lui rendre le micro
- Virginie Lutete
- 13 Mai 2024
1. Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis d’origine nord-irlandaise. J’ai grandi en Écosse et en Irlande du Nord mais j’ai déménagé en France en 1995. Je suis marié et père de trois enfants adultes. Je suis professeur de piano et de chant une partie de la semaine. Je suis un ancien étudiant de la faculté de Vaux-sur-Seine et j’ai un petit parcours pastoral en région parisienne. J’habite depuis 15 ans tout près de Genève du côté français de la frontière.
2. Pourquoi avoir écrit sur le sujet de la louange dans l’Église ?
J’enseigne sur ce sujet depuis une quinzaine d’années après des études doctorales aux États-Unis qui concernaient tout ce qui touche au culte, à la louange, depuis l’arrière-plan biblique en passant par l’histoire de l’Église.
J’ai plus de trente ans d’expérience en tant que musicien et en tant que « responsable de louange ». Au cours de mon expérience, j’ai constaté que les mêmes questions et problématiques reviennent souvent : le style, les préférences, les « vieux » contre les « nouveaux », etc. Et dans un monde où tout est accessible par Internet, je pense qu’il est toujours important de revenir aux questions fondamentales : qu’est-ce qui est important dans tout cela ? Quel est le but ? Quel est le contenu ? Parfois, quand on parle de « louange », on entend par là « louange musicale », alors que la louange est beaucoup plus large. Parfois le culte reste assez compartimenté, louange et prédication. Ce livre est finalement un peu le fruit de ces années d’études, d’enseignement et de vécu.
3. Quels sont les fondements bibliques de la louange ?
Quand on parle de la louange, il faut se poser une question : qui l’a inventée ? Qui invite qui pendant le temps de louange que nous vivons en communauté ? Je pense qu’il est important de revenir à la source : Dieu et ce qu’il en dit dans sa Parole. La louange à Dieu est déjà présente dans l’Ancien Testament où Dieu invite son peuple à venir l’adorer et le louer. Ces questions sont approfondies dans les deux premiers chapitres du livre.
Le contexte biblique nous montre que Dieu voulait une relation avec son peuple, et c’est dans ce contexte de relation qu’il a invité les gens à le louer. Quelque chose qui revient souvent dans l’Écriture, c’est la « révélation » : Dieu se révèle et l’homme répond. Dans les écrits bibliques, on trouve aussi la notion de rappel, de souvenir : « Rappelez-vous quand je vous ai fait sortir d’Égypte. » Avec les sacrifices aussi, on apprend beaucoup de la vie cultuelle du peuple, comment Dieu voulait être adoré. Tout cela, par la suite, est devenu le fondement de la vie cultuelle de l’Église.
4. En quoi la louange est un élément important du dialogue avec Dieu ? En quoi ce dialogue est-il important et pourquoi doit-il être communautaire ?
C’est intéressant que vous mettiez ensemble dialogue et louange parce que, je ne sais pas ce que vous vivez dans les temps de louange, je ne suis pas sûr que ce soit toujours un dialogue. Parfois c’est juste moi : je parle à Dieu, je chante à Dieu, moi tout seul. L’idée de dialogue implique deux directions de communication et au moins deux personnes. Donc le dialogue c’est aussi entendre et écouter Dieu. Cela implique que nous ayons des choses à lui dire, mais également qu’il a des choses à nous dire à travers la louange.
Pourquoi cela doit-il être communautaire ? Car dans la Bible, Dieu a appelé Israël à être une nation de prêtres. Il y a toujours eu l’aspect communautaire dans la louange du peuple d’Israël. Lorsqu’on vient rappeler qui est Dieu et ce qu’il a fait, c’est dans le contexte communautaire du peuple et non pas dans la vie individuelle de ses membres. Donc, tout comme nous ne sommes pas appelés à vivre seul notre foi, notre louange aussi doit être communautaire. L’Église n’est pas un ensemble d’individus qui viennent pour se recharger de manière individuelle comme j’irais à la station-service pour faire le plein, puis repartir et voilà. On a peut-être aujourd’hui trop mis l’accent sur la réponse individuelle à Jésus, parce qu’évidemment chacun doit décider de suivre le Christ par lui-même, mais Dieu s’adresse à la communauté.
5. Quelle réflexion devons-nous avoir dans le choix de nos chants ? Quels sont les critères à prendre en compte ?
On vient de parler de dialogue et de ce que cela voulait dire. Si je choisis des chants qui sont uniquement « Jésus, je suis là, je te loue, je, je, je… » on n’a pas l’occasion d’écouter Dieu. Et puis, ce qu’on chante sur Dieu, est-ce que c’est vrai ? est-ce que c’est ce que nous voulons vraiment lui dire ? Quelle est l’image que nous avons de Dieu et que nos chants reflètent ? Est-ce qu’il est seulement l’ami proche dont j’ai besoin dans les mauvais jours ? Est-il seulement un « grand frère » ? Est-ce qu’il est le Dieu Tout-Puissant ? Toutes les images que nous pouvons avoir de lui se reflètent dans le choix de nos chants, ce qui a aussi un effet sur notre relation avec lui.
Parmi les critères à prendre en compte dans le choix de nos chants, il y a le vocabulaire employé, la théologie du chant. Il faut voir aussi si le contexte communautaire est présent dans le chant et si le chant est chantable par toute l’assemblée ou seulement par un chanteur.
6. Quelle est la place de la Bible dans notre culte et notre louange ?
Notre culture actuelle peut laisser entendre que c’est nous qui parlons à Dieu dans la louange et qu’une fois que la musique cesse, on s’assoit et c’est à son tour de nous parler. Cela entraîne une absence de dialogue dans la première partie du culte, la partie « louange ». Lire la Bible de manière publique nous permet d'écouter la voix de Dieu et ce qu'Il veut nous dire en premier (révélation avant réponse). Ensuite, la Bible nous nourrit et enrichit notre vocabulaire avec lequel nous pouvons répondre à Dieu. Elle est aussi la même Parole de Dieu employée depuis des milliers d’années dans toutes les cultures par le peuple de Dieu. Nous ne sommes pas des chrétiens isolés et nous ne sommes pas les premiers à louer Dieu. La Bible nous aide à nous servir de l’héritage que Dieu nous a donné dans la relation qu’il a eue avec son peuple. La créativité aussi a sa place dans la louange. On peut apprendre beaucoup de choses à travers l’Écriture.
7. En quoi les Psaumes restent-ils de bons modèles pour notre louange ?
Dans la continuité de ce que je viens de dire, on prend part à cette louange, on continue le dialogue et on en découvre d’autres aspects à l’aide des Psaumes. Par exemple, nous pouvons nous inspirer des psaumes de lamentation, plus nombreux que les psaumes de louange, et ce qu’ils veulent nous dire, notamment sur la louange dans la difficulté. Les Psaumes nous aident à nous rappeler la fidélité de Dieu dans le passé, mais ils font montre aussi d’une grande liberté de vocabulaire et d’émotions, plus que ce que nous avons tendance à employer dans nos cultes évangéliques.
8. Quelle est l’importance de suivre l’année liturgique ?
Lorsqu’on vit un temps de louange, il est très intéressant de se demander de qui nous sommes en train de raconter l’histoire. Est-ce que c’est mon histoire avec ce dont j’ai besoin – et merci Dieu de me le donner ? L’année liturgique permet à toute l’histoire de Jésus d’être redite et offre l’occasion d’annoncer l’Évangile dans son entier. À travers la louange, nos lectures, nos cultes, les fêtes instaurées par Dieu, c’est tout une structure qui permet cela. Les évènements de la vie du Christ ne sont pas seulement des thèmes pour les prédications, mais aussi des fêtes à marquer. Cela permet aussi davantage de témoignages vers l’extérieur, particulièrement en France où les fêtes chrétiennes sont des jours fériés. Qu’en faisons-nous ?
9. Pouvons-nous dire que la préparation du culte est un travail d’équipe ?
Si le contenu à long terme est important et si la communauté est importante, on a besoin de valoriser l’ADN de nos assemblées et pas seulement les inspirations d’un seul individu. Si moi je suis musicien et que je n’ai pas vraiment de redevabilité envers d’autres personnes, je peux décider de tout par mon seul don, ce qui aura une conséquence sur le contenu pour la communauté. Et puis il y a le risque de toujours faire les mêmes choses où on ne fait que remplir les trous dans le planning. Il faut que ce soit un travail d’équipe pour valoriser le contenu, les arts, les dons des uns et des autres et également pour viser la créativité qu’avec une seule personne.
10. Qu’en est-il de la composition de l’équipe de louange ?
Une des premières questions à se poser c’est de savoir s’il y a des personnes qui ne sont pas musiciennes dans l’équipe de louange. Je pense que notre compréhension de ce qu’est l’équipe de louange devrait inclure des personnes qui ont une autre vision que juste celle du musicien. Il peut y avoir aussi d’autres espaces de création dans le culte.
11. Pourquoi faut-il faire une évaluation des cultes ? À quelle fréquence ?
L’évaluation permet la réalisation de ce travail en équipe et l’ouverture en dehors du train-train hebdomadaire afin d’éviter de toujours faire la même chose, selon un plan assez rigide ou en dernière minute. L’évaluation permet de responsabiliser les intervenants, de voir le chemin parcouru et les pas encore à faire.
Il faut travailler bien sûr sur les critères d’évaluation. Il ne s’agit pas de savoir si les musiciens n’ont pas fait de fausses notes, mais est-ce que le contenu est en rapport avec ce que vit la communauté, avec l’image que nous avons de Dieu, etc. Il faut faire régulièrement cette évaluation selon la fréquence définie dès le début – mensuelle, trimestrielle… il n’y a pas de règles. Il faudra interroger l’assemblée entière au moins une fois par an. Il serait utile de montrer quelle est notre intentionnalité et quels sont nos fondements bibliques. L’évaluation a aussi pour but de réfléchir à ce qu’on veut faire à l’avenir et laisser à d’autres l’occasion de suggérer des idées pour le bien de tous.
