Entretien avec Michel Siegrist – Découvrir la foi avec les enfants
- Virginie Lutete
- 20 Décembre 2024
1. Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Michel Siegrist et je travaille comme professeur à la Haute École de Théologie (HET-PRO) à Saint-Légier, en Suisse. Cet entretien est en lien avec l’ouvrage Découvrir la foi avec les enfants. Pourquoi ce livre ? Parce que j’ai été dix-neuf ans directeur de la Ligue pour la lecture de la Bible en Suisse romande. Il s’agit d’une œuvre qui travaille principalement avec des enfants, donc pour moi cette réflexion a toujours été importante. Et dans le cadre de la HET-PRO je donne des cours sur l’enfance.
2. Qu’est-ce qu’un enfant ?
C’est une question difficile. Il faudrait préciser à quel âge. Mais en gros, on va dire qu’entre 0 et 12 ans, c’est un enfant. Pour le dire assez simplement, je dirais qu’un enfant est un être humain et déjà ça, ce n’était pas gagné d’avance dans l’histoire. C’est un être humain qui est dans un processus de croissance et de découverte totalement incroyable de ce qu’est la vie. Si on regarde en prenant en compte la perspective de Jésus, on pourrait dire que ce sont ceux qu’il nous faut imiter pour entrer dans le Royaume.
3. Pourquoi est-il nécessaire de faire découvrir la foi aux enfants, dès leur plus jeune âge ?
Déjà parce qu’ils sont dans cette période d’apprentissage de toute la vie et que la foi chrétienne fait partie de la vie, pour nous chrétiens. Ainsi, comme on leur apprend à marcher, on va leur apprendre à découvrir la foi parce qu’ils sont dans une période de vie où ils apprennent magnifiquement bien. Ils sont encore ouverts à tout et n’ont pas trop d’a priori, c’est donc l’occasion d’avoir des personnes qui sont prêtes à entendre ; ce qui n’est pas toujours le cas de tout le monde. Ils ont également une approche naturelle de Dieu ou du divin. Il faut préciser qu’ils ne l’identifient pas forcément au Dieu des chrétiens, mais voilà, il y a la dimension de l’Autre et pour eux ce n’est pas une question, il faut juste leur expliquer cette dimension. Et j’ajouterais qu’en tant que chrétien on estime que la foi est quelque chose d’assez important ; on a donc envie de la transmettre à nos enfants, parce que ça va les aider pour leur vie de tous les jours.
4. Comment est présentée l’enfance dans la Bible ?
De manière très variée mais il faut ajouter qu’on n’a pas énormément de textes qui parlent des enfants, parce que c’était une période où le regard sur les enfants n’était pas le même qu’aujourd’hui, et il faut en tenir compte. Ce qu’on peut dire pour commencer, c’est que dans la mesure où ce sont des êtres humains, ils sont à l’image de Dieu, comme tout autre être humain ; ils sont pécheurs, comme tout autre être humain ; ils sont donc au bénéfice des mêmes promesses que nous. Ce qui peut être intéressant, c’est qu’on perçoit quelques histoires dans la Bible où l’on voit des enfants agir, être au service de Dieu, interroger. La dernière chose qu’il faut dire, c’est que Jésus, dans le contexte dans lequel il était, a posé un regard sur ces enfants qui doit nous faire réfléchir et peut-être aussi parfois évoluer.
5. Quel rôle joue la famille et quel est celui de l’Église dans l’éducation et l’enseignement des enfants ?
C’est une énorme question à laquelle je vais répondre brièvement. Premièrement il faudrait définir la famille. Je dirais que la famille est le premier cadre dans lequel l’enfant va évoluer, il va y découvrir la vie, apprendre, acquérir divers savoirs. Le rôle de la famille est d’accompagner l’enfant dans l’acquisition de tous les savoirs nécessaires pour bien vivre dans nos sociétés.
L’Église, quant à elle, aura beaucoup plus le rôle de l’apprentissage au niveau religieux et de découverte de la foi, même si le reste n’est pas exclusif et si compartimenté.
6. Quelles sont les différentes phases de développement de l’enfant et comment l’accompagner dans ces différentes étapes ?
Ce n’est pas moi qui ai écrit ce chapitre, c’est Noémie Lacombe qui est spécialiste du sujet. Néanmoins ce que j’en retiens, c’est qu’il y a des étapes différentes dans le développement de l’enfant entre 0 et 2 ans, et puis entre 2 et 4 ans, etc. Il y a les aspects sociaux, les aspects moteurs, les aspects psychologiques et affectifs qui évoluent chaque fois différemment. Selon les périodes, il y a des aspects qui sont mis en avant : tantôt ça va être plutôt l’aspect moteur qui se développe tantôt plutôt l’affectif. Il faut tenir compte de ces évolutions parce qu’on ne va pas parler des mêmes éléments de la foi aux enfants. Dire à un enfant de 0-2 ans qu’il est pécheur, ça ne va pas l’aider parce que le concept même de péché ne veut rien dire pour lui. Ce n’est pas ce qu’on va leur faire découvrir qui est important, mais à quel moment on va le leur faire découvrir. Par exemple, quand ils ont besoin des autres, on va leur parler du corps du Christ ; quand c’est le développement affectif qui se produit, il faut leur dire que Dieu les aime, qu’ils sont acceptés. Cette manière de faire n’est pas innées pour nous, il faut l’apprendre.
L’autre chose que je dirais, c’est qu’on a mis ces chapitres sur le développement dans le livre parce que c’est important pour nous de dire que nous sommes des êtres holistiques. L’Église s’est beaucoup cantonnée à la transmission de la foi de l’enfant, lui expliquer ce qu’est le christianisme, mais il faut tenir compte de tout son être. Les enfants ont une vie sociale, affective et on doit absolument en tenir compte quand on va leur parler de Dieu et de Jésus.
7. Comment le développement de l’enfant influe-t-il sur sa foi et sa spiritualité ?
Il faut vraiment tenir compte de ce que l’enfant est capable de comprendre et de retenir. Il faut aussi être capable de découvrir ce que l’enfant est en train de vivre au niveau de sa spiritualité. Je donne juste un exemple. J’avais lu un article, et je trouvais ça assez intéressant, qui évoquait un enfant qui passait un temps énorme à faire un dessin, puis qui, très fier, le montrait à sa maman. Et l’auteur de dire : voyez l’enfant, il a cette capacité de mettre toute son énergie pour faire plaisir à sa maman et il expliquait comment accompagner les enfants pour qu’ils gardent cette compétence. L’auteur nous dit que ce sont des compétences/capacités que l’enfant a et qu’il faut travailler pour que ce qu’il vit avec sa maman, il puisse le vivre aussi avec Dieu. C’est dans ce sens-là que le développement influence sa spiritualité. Tout ce que l’enfant va faire naturellement pour quelqu’un, il nous faut le travailler pour qu’il puisse aussi le vivre dans sa relation avec Dieu. Finalement c’est ce que Jésus nous dit quand il dit qu’on doit les imiter. Ils ont quelque chose du lien au Royaume qu’on perd avec les années.
8. Quelle place donner aujourd’hui aux enfants dans l’Église, et plus particulièrement dans l’Église locale ?
La première chose que je dirais, c’est qu’il faut quand même se souvenir que ce sont des enfants et que ce ne sont pas des adultes. On a souvent tendance à dire qu’on veut leur donner de la place et on leur fait faire les choses comme s’ils étaient des adultes, c’est ce qu’on appelle l’adultification. C’est un équilibre à trouver. Un bon exemple est typiquement celui de la prière. On dit qu’on va leur donner une place et les faire prier comme nous alors que donner une place aux enfants, c’est les laisser prier à leur manière. On va leur laisser une place en tant qu’enfants et pas en tant qu’enfants qui doivent se comporter en adultes. Petit sujet de débat, mais pour moi c’est une grande question : dans certains Églises on garde les enfants pendant le temps dit de louange qui est surtout adapté aux adultes, mais est-ce que l’enfant rend sa louange à Dieu de la même façon ? Quand on réfléchit à donner une place à l’enfant, ce sont ces questions-là que nous devons nous poser. Tout au long de leur développement, on va leur donner des places diverses qui leur sont propres.
Leur donner de la place, certes, mais ils doivent aussi avoir des lieux dans lesquels ils peuvent vivre ce qui leur est propre. Ce qui signifie une place à l’Église où ils sont avec les autres, mais aussi une place où finalement ils peuvent avoir leur propre questionnement, par rapport à ce qu’ils vivent eux-mêmes.
Un des objectifs des ODD (Objectifs de Développement Durable) est de donner la parole aux enfants et voir comment écouter ce qu’ils ont à nous dire. Sans dire qu’ils savent mieux que nous, ils ont aussi quelque chose à dire sur l’Église, sur la manière de vivre le culte… Est-ce qu’on leur donne cette parole ? Pour moi c’est une autre façon de leur donner une place. Dans certains lieux, en tout cas en Suisse, en politique, il y a des conseils pour les jeunes, pour les enfants. Ça ne veut pas dire qu’ils ont le droit de vote, mais on les écoute. Parfois je me demande comment on les écoute dans l’Église.
9. Quelles activités proposer aux enfants et comment les leur proposer pour leur transmettre la foi ?
Alors il faut surtout les faire participer. Les faire asseoir et leur raconter des trucs, c’est bien si c’est une histoire, mais je crois qu’il faut les faire participer, chanter, jouer, bricoler, s’amuser, les rejoindre dans leur monde. Petite anecdote, j’étais surpris une fois d’un enfant qui est en train de jouer avec son petit train alors qu’on racontait une histoire. On a l’impression qu’il était ailleurs, mais il était capable de raconter toute l’histoire après. Donc ce n’est pas parce qu’ils font autre chose qu’ils ne sont pas capables d’écouter. Ce qui est important c’est qu’ils doivent avoir du plaisir, ils doivent faire des découvertes. J’aime le concept de prière créative, justement où on les fait jouer tout en les faisant prier parce que pour eux ça ne pose pas de problème de conjuguer ces deux activités. Ce n’est plus le cas pour nous parce que ça nous paraît incompatible, nous sommes des êtres sérieux et quand on prie on est sérieux. Donc jouer, bricoler tout en les faisant prier c’est quelque chose de très important, ça les rejoint dans leur monde. Nous l’avons vécu dans le cas de la Ligue, ça peut aller jusqu’à une heure et demie de prière parce qu’ils s’amusent. Et puis j’aime beaucoup – je crois qu’on en parle dans le livre – une activité qui s’appelle GodlyPlay qui se développe de plus en plus et qui rejoint vraiment l’enfant dans sa découverte de la Bible et avec laquelle on est vraiment à l’écoute de l’enfant, de ce qu’il découvre dans la vie. On n’est pas dans la période catéchisme, on est dans la période : « Je te raconte une histoire et dis-moi ce que tu en comprends ». Et là il faut être prêt à entendre ce qu’ils disent.
10. Avez-vous des ouvrages et des outils à recommander à nos lecteurs ?
J’ai deux livres qui m’ont accompagné. Il y a le livre de Caroline Baertschi Les enfants, les portiers du Royaume. Accueillir leur spiritualité. C’est un livre qui pour moi parle plus de spiritualité que d’enseignement religieux. Il y a aussi un livre qui avait été édité par la Ligue, ça fait longtemps, mais je n’ai pas trouvé l’équivalent, de Francis Bridger Pour que la foi de l’enfant grandisse, qui nous montre ce lien aussi entre psychologie et foi. Je trouve intéressant de mettre ces choses en parallèle.
Sinon en termes d’outils, j’ai parlé de cet outil GodlyPlay, il y a un site (https://godlyplay.fr ou https://godlyplay.ch) pour voir ce que c’est. C’est vraiment une méthode pour aider les enfants à découvrir la Bible. Comme ça a été créé par un luthérien, il y a aussi le côté de la découverte du calendrier liturgique et de l’Église mais dans le monde des enfants et c’est ce que j’apprécie. La Ligue a fait une collection qui s’appelle « trucs et astuces » avec des ouvrages sur des activités comme la prière créative, les jeux, les chants, j’en cite quelques-uns dans le livre. Ça nous donne des outils tout simples. On n’a pas besoin d’être spécialiste pour l’utiliser.