Entretien avec Sylvain Romerowski sur le prophétisme

• Virginie Lutete
• 27 Septembre 2024

1. Pouvez-vous vous présenter ?

Après des études de théologie à l’Institut biblique de Nogent, puis à la faculté de théologie de Westminster aux États-Unis, j’ai poursuivi avec des études de linguistique générale à la Sorbonne nouvelle. Puis j’ai été assistant de pasteur à l’Église baptiste de Mulhouse. J’ai ensuite travaillé pour les éditions Sator à la traduction de la Bible dite du Semeur et à la rédaction de différents articles qui sont parus par la suite dans le Grand Dictionnaire de la Bible chez Excelsis. À partir de 1991 j’ai été embauché à mi-temps comme enseignant à l’Institut biblique de Nogent, puis à plein temps en 1993, et j’y ai exercé ce ministère jusqu’en juin 2023. Je suis maintenant à la retraite, mais bien occupé.

2. Dans cet entretien nous allons parler du prophétisme, pouvez-vous d’abord nous présenter rapidement les deux ouvrages : Les livres des prophètes. Volume 1 : Introduction générale aux livres des prophètes – Abdias – Joël – Amos – Osée – Michée ; et le CEB de l’Ancien Testament 29. Les livres de Joël et d’Abdias. Commentaire biblique ?

Le premier ouvrage est un manuel destiné à l’origine à servir de support et de complément aux cours sur les livres des prophètes de l’Ancien Testament, dispensés à l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne et à la Faculté de théologie de Vaux-sur-Seine. Il s’agit là d’un premier volume d’une série qui doit en comporter cinq, sur l’ensemble des livres des prophètes. Ces manuels ont pour but de favoriser la connaissance du contenu de ces livres et leur compréhension. Ils présentent les circonstances dans lesquelles ces livres ont vu le jour, exposent les questions principales liées à leur interprétation, et s’efforcent de montrer comment on peut développer une démarche interprétative cohérente qui se veut à l’écoute des textes. Nous proposons aussi au fil des textes des pistes de réflexion théologique, éthique et pastorale que chacun pourra prolonger et exploiter pour lui-même.

Le second ouvrage est un commentaire de niveau académique sur les livres de Joël et d’Abdias. Il fait partie de la série « Commentaire Évangélique de la Bible » (CEB), publiée par la faculté de Vaux-sur-Seine. Cet ouvrage est bien plus approfondi que l’étude des mêmes livres dans le manuel. À titre de comparaison, l’étude du livre de Joël occupe 60 pages dans le manuel, et 260 pages dans le CEB.

3. Pouvez-vous définir ce qu’est le prophétisme ? Et tout particulièrement le prophétisme biblique ?

Dans le Proche-Orient ancien, il y avait des devins, des astrologues, etc. qui cherchaient à deviner l’avenir et quelle ligne de conduite adopter dans des circonstances précises. Les dirigeants les consultaient avant de prendre des décisions importantes. Les prophètes de la Bible peuvent prédire l’avenir, mais ce n’est pas l’essentiel de leur message. Un prophète biblique est d’abord une personne qui parle de la part de Dieu et qui s’adresse à son peuple avec un message qui concerne la vie de ce peuple. Une des particularités du prophétisme biblique, c’est qu’il s’appuie sur les textes de l’alliance du Sinaï et donc sur la loi de Moïse. Les prophètes de l’Ancien Testament évaluent de la part de Dieu le comportement des Israélites à l’aune de cette loi pour dénoncer leurs fautes. Ils annoncent alors des jugements de Dieu qui prennent la forme de l’exécution des malédictions prévues par le traité d’alliance (Lv 26 ; Dt 28). Il peut s’agir de catastrophes naturelles et d’invasions militaires, jusqu’à la ruine des deux royaumes.

Les prophètes appellent aussi les Israélites à la repentance, ce qui comporte d’abord une conversion à Dieu (ils parlent de retour à Dieu), puis un changement de comportement dans le domaine des relations avec le prochain en conformité avec la loi de Moïse. Ils annoncent que malgré tout, Dieu n’abandonnera pas son peuple mais qu’il produira sa restauration, qui comporte l’accomplissement des bénédictions prévues dans le traité d’alliance. Ils proclament des promesses de salut futur qui se réaliseront grâce à l’œuvre du Messie de la lignée davidique.

4. Comment interpréter les prophéties bibliques ?

Pour bien interpréter les livres des prophètes, il est nécessaire de connaître et de prendre en compte les circonstances dans lesquelles ils sont nés. En effet, les prophètes s’adressent d’abord à leurs contemporains, en fonction de leur situation.

Il convient aussi de lire chacun de ces livres dans sa totalité, pour interpréter chaque passage en fonction de l’ensemble.

Les prophètes appartenaient à une culture différente de la nôtre, qui avait ses moyens d’expression particuliers. Notamment, ils faisaient un usage abondant de langage figuratif. Il est donc important de s’immerger dans leurs écrits en s’efforçant de comprendre comment fonctionnent leurs formes d’expression, quelles images ils utilisent et pour quelle signification. Trop souvent, on leur a imposé une interprétation littérale ne prenant pas en compte leur langage figuratif.

On trouvera un exposé développé sur l’interprétation des livres des prophètes dans l’introduction générale au début du volume 1 du manuel ci-dessus.

5. Pouvez-vous nous présenter les cinq prophètes dont vous parlez dans votre ouvrage : Abdias, Joël, Amos, Osée, Michée ?

À mon avis, Abdias et Joël ont exercé leur ministère au ix^e siècle avant Jésus-Christ. Abdias prophétise sur les Édomites qui ont profité de ce que des ennemis ont pillé Jérusalem et massacré des Judéens, pour piller à leur tour cette ville et massacrer les rescapés qui fuyaient devant leurs ennemis. Ce prophète annonce donc le jugement sur les Édomites. Dans une deuxième partie de son livre, il présente ce jugement comme une anticipation du jugement eschatologique universel. Un point intéressant dans le livre d’Abdias, c’est qu’on y trouve la notion de crime de guerre dont on parle encore aujourd’hui.

Le prophète Joël prophétise après un fléau de sauterelles qui a ravagé le pays de Juda. Il présente ce fléau comme un Jour du Seigneur, c’est-à-dire un jugement exercé par Dieu sur le peuple de Juda à cause de ses fautes, et il appelle le peuple à la repentance. Comme le peuple se repent, Joël annonce que Dieu va lui pardonner et lui rendre la prospérité. Dans la seconde partie de son livre, il présente lui aussi ce jugement contemporain comme une anticipation du Jour du Seigneur, jour de jugement pour l’ensemble des peuples, mais dont réchapperont ceux qui invoqueront le Seigneur. Un point important du livre de Joël est la promesse que Dieu accordera dans l’avenir son Esprit à tous les membres de son peuple, promesse citée par l’apôtre Pierre le jour de la Pentecôte.

Le prophète Amos est un Judéen que Dieu envoie dans le royaume d’Israël du Nord pour dénoncer les injustices sociales. En effet, bien des nantis du pays exploitent les Israélites défavorisés en s’appropriant leurs terres. Il s’ensuit une concentration des richesses disponibles entre quelques mains, alors que le gros du peuple est victime de nombreux abus et réduit à une forme d’esclavage. Amos dénonce ces injustices et les présente comme la conséquence d’un abandon de Dieu. Il appelle donc d’abord à un retour à Dieu qui se manifestera par la pratique de la justice sociale. Cela me conduit à cette remarque qu’aujourd’hui, on parle parfois de l’activité prophétique de l’Église comme étant un appel adressé à nos dirigeants et au monde à pratiquer la justice sociale. Or cela n’est pas en soi une proclamation prophétique. Une véritable proclamation prophétique se doit, comme celle d’Amos, de souligner que la cause profonde des injustices sociales est le rejet de Dieu, et d’appeler d’abord nos contemporains à la conversion, qui se manifestera ensuite par la pratique de la justice. À la fin de son livre, le prophète annonce la restauration à venir du royaume de David.

Osée est le prophète du royaume nord-israélite et il exerce son ministère dans les trente ou quarante années de la fin de ce royaume. Il dénonce surtout l’idolâtrie des Israélites. Le peuple est comparé à l’épouse de Yahvé. Yahvé lui donne sa lettre de divorce, car celle-ci lui a été infidèle en s’entichant d’autres divinités. Il va jusqu’à dire aux Israélites du Nord : « Vous n’êtes pas mon peuple. » Osée dénonce diverses fautes, et en particulier des fautes politiques. Il reproche au royaume du Nord de se donner des rois d’une manière contraire à la volonté divine. On peut voir que la fin de ce royaume est une période trouble, au cours de laquelle se commettent de nombreux complots contre les rois, pouvant aller jusqu’aux assassinats. Comme sanction de toutes ces fautes, le prophète prédit la chute du royaume du Nord. Mais il proclame aussi un message très fort sur l’amour de Dieu qui est prêt à pardonner à son peuple et qui, au-delà du jugement, lui manifestera son amour.

Enfin, le livre du prophète Michée est probablement celui des cinq que l’on connaît le mieux. Michée est contemporain d’Ésaïe et c’est à partir d’environ 730 av. J.-C. qu’il dénonce lui aussi les injustices sociales qui se commettent en Juda et qui sont en particulier le fait des différentes catégories de responsables du peuple. Les dirigeants politiques abusent de leurs fonctions pour exploiter le peuple, les faux prophètes annoncent des oracles agréables aux oreilles de ceux qui viennent les consulter en les payant bien, et les prêtres négligent la Loi de Dieu. Michée annonce la ruine du royaume du Nord qui devait survenir en 722. Il prédit aussi l’invasion assyrienne du pays de Juda qui devait survenir en 701 et qui allait entraîner la déportation de 200 000 Judéens. Le prophète voit encore plus loin en annonçant que, plus tard, les Babyloniens envahiront eux aussi le pays de Juda et seront l’instrument du jugement de Dieu. Michée est le premier à prédire la destruction de Jérusalem et du Temple qui devait arriver 150 ans plus tard. Au-delà du jugement, lui aussi annonce le salut, mais pas pour tout Israël, seulement pour un reste fidèle. Il présente Dieu à l’aide de l’image d’un berger qui va rassembler son troupeau. Dieu établira son règne sur le reste de son peuple et ce règne se réalisera par celui d’un descendant de David, le Messie, qui doit, comme David, naître à Bethléem. Michée reprend l’oracle d’Ésaïe annonçant que des personnes de tous les peuples se tourneraient vers Dieu et apprendraient à le connaître, ainsi que sa Loi, pour lui obéir.

6. Pourquoi nos lecteurs devraient-ils s’intéresser aux prophètes ?

Parce que leurs écrits sont parole de Dieu et que toute l’Écriture est utile pour notre édification et croissance dans la vie chrétienne (2 Timothée 3.16-17).

Plus particulièrement, parce que le message des prophètes reste aujourd’hui très actuel. Les prophètes abordent pour le peuple de Dieu de leur temps des questions et des problèmes très concrets qui se retrouvent à notre époque. Il y a donc beaucoup à apprendre d’eux pour notre vie dans le monde d’aujourd’hui.

7. Avez-vous deux ou trois ouvrages à conseiller à nos lecteurs pour approfondir cette thématique ou pour leur édification ?

Pour commencer, il est important de lire les livres des prophètes dans l’Ancien Testament. Lorsque, au premier cours, je posais à mes étudiants la question : « Qui d’entre vous a lu l’ensemble des livres des prophètes ? », je n’avais au mieux qu’une moitié de la classe qui levait la main.

Les notes de la Bible du Semeur d’étude sont d’une bonne aide pour une première approche.

Il y a évidemment ensuite la série des CEB. Plusieurs volumes sont parus. Deux volumes sur le livre de Daniel devraient paraître fin 2024.

Il y a quelques ouvrages moins techniques sur divers prophètes : Barry Webb sur Ésaïe, Joyce Baldwin sur Daniel, Alec Motyer sur Amos…

Il y en a évidemment beaucoup plus en anglais. On peut recommander la série des commentaires Tyndale et celle de « The Bible Speaks Today », très abordables.