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Entretien – Pour une éthique sociale évangélique (CEPE, le SEL, A Rocha)

Virginie Lutete
  • Virginie Lutete
  • 10 Juillet 2024
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1. Pouvez-vous vous présenter ?

Marjorie : Je suis Marjorie Legendre, professeur d’éthique à la Faculté Libre de Théologie Évangélique et nouvelle présidente de la Commission d’Éthique Protestante Évangélique (CEPE). J’ai contribué à la révision du chapitre introductif ainsi qu’à deux chapitres : l’un mettant en regard les valeurs de la société et les valeurs de l’Évangile et l’autre sur le travail en collaboration avec Frédéric de Coninck. Mais j’ai aussi et surtout chapeauté l’ensemble de la rédaction de cet ouvrage avec les différents contributeurs.

Rachel : Je suis Rachel Calvert, présidente d’A ROCHA France. J’ai contribué à l’ouvrage par la rédaction du chapitre « Crise environnementale et pauvreté ».

Daniel : Je suis Daniel Hillion, directeur des études au SEL (Service d’Entraide et de Liaison) où je suis particulièrement chargé de la réflexion biblique et théologique sur les questions qui sont en rapport avec la pauvreté. J’ai participé à la révision du texte introductif de l’ouvrage, les principes directeurs existaient déjà dans une première version publiée il y a plusieurs années par la CEPE. J’ai aussi contribué par un chapitre sur la place de l’éthique sociale dans l’Église.

2. Pouvez-vous nous présenter la CEPE, le SEL et A Rocha ?

Marjorie : La CEPE est une commission d’éthique évangélique, née de l’initiative des Églises Évangéliques Libres et de la Fédération Baptiste à la fin des années 1990 ; se sont ajoutées officiellement les Églises réformées évangéliques ; la commission s’est enfin élargie de manière informelle à d’autres Unions (par exemple les mennonites et les CAEF). Elle est associée au CNEF. Cette commission a pour but de produire des textes visant à susciter et alimenter la réflexion éthique des évangéliques.

Rachel : A ROCHA est une association chrétienne engagée sur les enjeux écologiques. Nos deux missions sont la préservation du vivant par des actions de terrain en faveur de la biodiversité en particulier et ensuite la mobilisation des chrétiens sur les questions environnementales.

Daniel : Le SEL est une association protestante de solidarité internationale qui vise à améliorer les conditions de vie de personnes et de populations en situation de pauvreté dans des pays en développement. L’association a été créée par l’Alliance Évangélique Française au début des années 80 et travaille en soutenant des organisations chrétiennes locales. Nous agissons particulièrement dans des domaines comme le parrainage d’enfants, des projets de développement communautaire et des actions de secours d’urgence. En plus de cela, le SEL est impliqué dans la sensibilisation de son public en France sur les questions de pauvreté.

3. Qu’est-ce que l’éthique sociale ?

Rachel : Je dirais que l’éthique sociale est la recherche de ce qui est juste et droit dans notre vivre ensemble. C’est aller au-delà de choix simplement individuels et touche à notre façon de vivre en société.

Daniel : Je définirais assez simplement l’éthique sociale en disant que c’est l’exposé de la volonté de Dieu pour la vie en société et cet exposé concerne à la fois la manière dont les personnes sont appelées à vivre au sein de la société humaine, mais aussi nous dit quelque chose de la manière dont la société humaine elle-même devrait être organisée.

Marjorie : L’éthique sociale concerne le « social » c’est-à-dire le « nous » et non seulement le « je » ; elle concerne la vie en société, ce qui inclut de nombreux sujets (de la pauvreté à l’environnement en passant par le capitalisme par exemple) ; elle cherche à répondre à la question « que devons-nous faire ? » et « quel type de société devons-nous être ? ». L’éthique sociale évangélique cherche à apporter une réponse à ces questions à partir de ce que nous enseigne la Parole de Dieu.

4. Pourquoi le chrétien évangélique doit réfléchir sur l’éthique sociale ? Quels en sont les fondements bibliques ?

Rachel : Je pense que de la Genèse à l’Apocalypse, la Bible parle de relations : notre relation au Créateur, nos relations interpersonnelles, notre relation avec la création. Tout au long de la Bible nous trouvons cette question du vivre ensemble et de la volonté de Dieu pour ce vivre ensemble.

Un aspect intéressant pour nous aujourd’hui, chrétiens du XXIe siècle en Occident, est que nous y trouvons beaucoup de parallèles entre notre situation et la situation des Israélites au temps de l’exil. Nous vivons une période où les Églises chrétiennes ne sont plus une force dominante dans notre société, nous sommes dans ce que nous appelons une société postchrétienne. Tout comme les Israélites exilés en Babylone étaient minoritaires et relativement peu puissants au sein d’une culture qui ne reconnaissait pas la souveraineté de l’Éternel, c’est ce que nous vivons aujourd’hui en France. Il est intéressant d’observer comment le prophète Jérémie a exhorté les Israélites à rechercher le bien de la ville où Dieu les avait déportés et de prier le Seigneur en faveur de cette ville. Dans le Nouveau Testament, nous voyons l’apôtre Pierre faire le parallèle avec la vocation des chrétiens qui sont exilés et étrangers sur la Terre, et qui sont néanmoins exhortés à honorer Dieu par leur comportement en société, d’avoir une bonne conduite au milieu des païens, pour que ceux qui les calomnient voient leurs bonnes actions et glorifient Dieu.

Daniel : La première chose que je dirais c’est que le chrétien évangélique doit réfléchir aux questions d’éthique sociale parce que, comme tout le monde, il vit en société et que, vivant en société, il va nécessairement s’y conduire d’une certaine manière. Soit il va le faire en cherchant quelle est la volonté de Dieu à cet égard, soit il va le faire en suivant des principes qui ne seront pas dérivés de la Bible.

Pour ce qui est des fondements bibliques, j’en mentionnerai trois principaux, mais il y en aurait bien d’autres. Premièrement, il s’agit de souligner, comme le dit Jean Calvin, que Dieu a mis entre les humains un lien de société. Ainsi, les humains ne sont pas simplement des individus isolés qui décident de se mettre ensemble par contrat, mais il y a un vrai lien d’humanité au point que le livre de la Genèse dit que tous les humains, sont frères (9.5). Il existe une fraternité en humanité. Le prophète Esaïe, appelant à agir en faveur du pauvre, dit : « Ne te détourne pas de celui qui est à propre chair. » (58.7) C’est Dieu qui a voulu que nous fassions société ensemble. L’apôtre Paul dit que tous les hommes sont issus d’un seul (Ac 17.26). Deuxièmement, je mentionnerais ce qu’on appelle le mandat créationnel qui se trouve au début de la Genèse : être fécond, multiplier, remplir la terre et la soumettre. C’est ce que j’appellerais, en résumé, le projet de société que Dieu donne à l’humanité dès le commencement. Il doit aussi y avoir une éthique sociale à développer sur ces bases. Troisièmement, je pense qu’il est important de réfléchir aux questions d’éthique sociale en fonction de l’Église et se dire que l’intention créatrice de Dieu pour l’humanité ne s’est pas réalisée entièrement à cause du péché et que Dieu, créant une nouvelle humanité, se fait un peuple avec un lien d’humanité qui sera plus fort que ce qu’il était au commencement. Cette vie du peuple de Dieu dans cette nouvelle humanité a normalement quelque chose à nous dire de l’éthique sociale. L’Église devrait être comme une « société alternative » au sein de la société qui dit quelque chose de la volonté de Dieu pour l’humanité et qui peut, quand elle est fidèle, interpeler et inspirer même s’il ne s’agit pas de viser le même type de fraternité dans la société et dans l’Église.

Marjorie : Le chrétien doit s’intéresser à l’éthique sociale du fait de sa double citoyenneté : il est certes avant tout citoyen des cieux en Christ, mais il est aussi toujours, dans ce corps de chair, citoyen terrestre. Le chrétien ne peut vivre en vase clos et se replier sur lui-même. Au contraire il doit s’intéresser aux affaires de la société dans laquelle Dieu l’a placé, comme les exilés israélites étaient appelés à chercher le bien et la paix de Babylone où ils étaient pourtant exilés. Quant au fondement biblique, je crois que l’on peut tout simplement faire appel au grand commandement de l’amour du prochain. S’intéresser à l’éthique sociale est une manière d’aimer son prochain. Et puis, il y a de nombreux appels, notamment chez Paul ou chez Pierre, à être des citoyens exemplaires de sorte que cela soit un bon témoignage de l’Evangile.

5. Comment vivre aujourd’hui la parabole du bon samaritain (une mise en pratique de l’éthique sociale) ?

Daniel : Je me demande dans quelle mesure cette parabole ne nous parle pas d’abord de Jésus, c’est-à-dire que c’est d’abord lui le bon Samaritain et nous, nous sommes d’abord le blessé le long du chemin et nous devons accepter de nous laisser secourir par lui, puis ensuite entendre la parole : « Va et toi, fais de même. » Cette parabole se situe d’abord et avant tout dans le registre des relations interpersonnelles, du fait de voir quelqu’un, d’avoir compassion, de savoir voir le lien d’humanité. Je suis interpelé par le fait que, dans cette parabole, le blessé est désigné par l’expression la plus vague qui soit : « un certain homme ». Le Samaritain a su voir l’homme dans l’homme (plutôt qu’un membre du peuple ennemi), et ça c’est quelque chose de fondamental. Je crois que la parabole du bon Samaritain nous parle d’abord et avant tout de relations interpersonnelles. L’ouvrage propose dans son texte introductif une sorte de prolongement de la parabole dans lequel nous imaginons que l’histoire se reproduise et qu’il y ait des blessés le long du chemin tous les jours. Qu’est-ce que nous ferions ? C’est une interrogation qui est pertinente parce que l’amour se vit d’abord dans les relations interpersonnelles, mais il a aussi besoin de pouvoir être prolongé et soutenu par une organisation de la société dans laquelle on essaie de faire en sorte qu’il y ait le moins de blessés possibles. Dans ce domaine, il s'agira pour chacun de chercher le rôle qu’il a à jouer dans la société et chacun a le sien.

Rachel : C’est Timothy Keller qui souligne que c’est une marque d’un cœur qui a été touché par la grâce de Dieu d’aller vers notre prochain dans le besoin. Cette grâce nous conduira toujours à avoir des actes de compassion pour les plus démunis et souvent envers des personnes qui sont vraiment éloignées de nous sur le plan culturel ou social. Cette grâce reçue déborde et découle d’actes de compassion mais la parabole ne prescrit pas la façon dont cela doit être organisé. La Bible nous laisse une grande liberté pour la mise en pratique de l’éthique sociale.

Marjorie : La parabole du Bon Samaritain fait éclater le cadre étriqué dans lequel nous confinons l’amour du prochain. Au départ, Jésus raconte cette histoire car un Maître de la Loi lui demande « Qui est mon prochain ? ». Autrement dit, ce Maître de la Loi cherche à limiter l’amour du prochain à « certains ». Mais à la fin de la parabole, c’est Jésus qui demande à cet homme : « Qui a été le prochain du blessé sur la route ? ». Ainsi, je n’ai pas à me demander la frontière de mon amour pour autrui, mais j’ai moi à me comporter en prochain de mon prochain : et peut-être que dans la société il y a des personnes que j’ai du mal à aimer. Ce qui est à retenir aussi dans cette parabole c’est la manière dont le bon Samaritain se laisse émouvoir par la détresse du blessé, comment il se laisse déranger par rapport à ses projets de la journée pour prendre le temps d’aider ce blessé, combien il donne de son temps, de son argent… Finalement de lui-même. Ce qui nous pose la question : et nous ? Ce qui est intéressant enfin, c’est que l’exemple à suivre dans cette parabole est un samaritain : précisément celui qui avait tout faux aux yeux des juifs… Peut-être que dans notre société des non chrétiens font bien davantage le bien que nous et doivent en ce sens nous « challenger »…

6. Quel lien unit l’écologie et la justice/éthique sociale ?

Rachel : Les personnes en situation de pauvreté sont souvent plus exposées aux bouleversements climatiques et écologiques et elles ont moins de ressources pour y faire face et s’y adapter, pour reconstruire, etc. Les pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre ne sont pas les pays qui, aujourd’hui, souffrent le plus du dérèglement climatique. On peut penser aux canicules récentes et répétées en Inde, et des zones du monde où le changement du climat est tel que des régions entières deviennent ou risquent de devenir presque inhabitables pour les êtres humains, ce qui entrainera aussi des migrations importantes. Mais même en France, plus près de nous, les logements des personnes modestes sont souvent situés dans des zones plus vulnérables (aux pollutions dangereuses et aux évènements météorologiques). Un autre aspect est la question de l’accès à la nature pour lequel nous ne sommes pas tous égaux face à la richesse de la création que Dieu nous a confiée. Certains d’entre nous on la possibilité d’en bénéficier sur le plan économique, mais aussi sur le plan psychologique et social, de profiter d’avoir un jardin ou d’aller en vacances dans la nature. Ces inégalités peuvent avoir un impact sur la santé physique, sur la santé mentale et psychologique. Ainsi, la question d’un partage juste entre les personnes fait que nous ne pouvons pas séparer les enjeux écologiques et les enjeux sociaux.

Daniel : Ma réponse à cette question vient d’une remarque qui m’avait été faite par David Nussbaumer (qui travaillait à A ROCHA) qui me disait que, dans la Bible, la question de la pauvreté était directement liée à celle de la gestion de la terre et je pense que c’est juste. Cela me semble un point important pour répondre de façon biblique/théologique au lien entre écologie et éthique sociale. En effet, la pauvreté dans la Bible se caractérise assez largement par le fait de souffrir de manques, de carences dans la satisfaction de ses besoins de base, résumées par les thèmes de la nourriture et du vêtement. La nourriture, même si on l’oublie peut-être quand on est citadin, se produit par la gestion de la terre et cette gestion c’est évidemment une question centrale quand on pense à l’écologie. Prendre soin de l’environnement et de la création que Dieu nous a confiée me semble être l’un des liens et cela rejoint aussi le mandat créationnel. Si nous avons une mauvaise gestion de la terre, nous aurons une société mal organisée, et cela aura des conséquences sur les pauvres et sur l’environnement. Dans la Bible, le mandat créationnel se déploie dans le fait de prendre soin du jardin, dans l’agriculture, dans l’élevage, toutes ces choses qui sont bonnes pour l’humain et qui mettent la création en valeur. Quand ces choses se détraquent la création souffre… et le pauvre aussi.

7. Est-ce que le chrétien doit s’engager dans la société ? Pourquoi ? Comment ?

Rachel : Daniel l’a déjà dit, nous n’avons pas le choix. Je pense que même le chrétien le plus séparatiste est quand même lié à la société. Je fais le parallèle avec la question de notre témoignage ; la question n’est pas tellement : est-ce qu’on doit témoigner ? mais plutôt : est-ce que mes paroles et mes actions rendent un bon témoignage qui honore Christ et qui attire les gens à lui, qui donne une idée juste de l’évangile ? Ainsi, par nos choix de consommation, de travail, la façon dont nous gérons notre argent, notre gestion de la terre, etc. nous avons tous un impact sur notre prochain. Il faut rester humble car notre impact n’est pas infini et peut être modeste, mais il faut avoir conscience que nos choix ont un effet et que nous sommes appelés devant le Seigneur à réfléchir aux dons et aux talents qu’il nous a confiés. Nous devons réfléchir à cette question : comment puis-je servir mon prochain et honorer Dieu dans cette saison de ma vie ? La réponse sera différente pour chaque personne et même pour une personne cela peut changer au cours de la vie. Nous pouvons être engagés dans la société simplement en tant que parent, par la façon dont nous éduquons nos enfants, mais aussi par la façon dont nous sommes impliqués dans le tissu associatif autour de nous. Nous n’aurons pas tous les mêmes intérêts, les mêmes talents et les mêmes passions, mais chacun doit mettre cela au service du Seigneur, de l’Église et de ses concitoyens.

Daniel : Je n’ai pas grand-chose à ajouter car l’important pour moi est de marquer la diversité des engagements possibles et de ne pas chercher un modèle unique qui serait valable pour tout le monde. Il ne faut pas que le mot « engager » donne l’impression qu’il y a un modèle unique de chrétiens engagés alors qu’en fait il y a une multitude de possibilités de contribuer à la vie de la société d’une manière positive.

Marjorie : De fait, le chrétien est forcément engagé dans la société, ne serait-ce que par son travail. Mais au nom de l’amour du prochain et de la recherche de la paix du pays où Dieu nous a placés, nous ne pouvons rester inactifs, les bras croisés à attendre passivement le retour du Christ. Je pense à la parabole du jugement dernier en Matthieu 25 : j’avais soif et vous m’avez donné à boire, j’avais faim vous m’avez donné à manger, j’étais étranger vous m’avez accueilli, etc. Il y a bien trop de questions et de sujets où notre foi a des choses à dire et nous appelle ainsi à témoigner par nos paroles et nos actes (les différents chapitres du livre le montrent). Mais il ne faudrait pas mettre un fardeau trop lourd sur nos épaules : nous ne pouvons pas nous engager partout et en tout car nous ne sommes que des créatures limitées et non Dieu. Il y a des appels et des vocations particulières à discerner pour chacun(e). Cela dit, je dirai que même un certain non-engagement est déjà une forme d’engagement : décider de ne pas s’engager, comme décider de ne pas porter les armes, est déjà une posture. Comme quand les gens décident de ne pas voter : ils envoient un message.

8. Comment le chrétien devrait-il agir face au capitalisme dans lequel nous vivons et la possession matérielle ?

Marjorie : Force est de reconnaître que tous les chrétiens ne portent pas le même regard sur le capitalisme : des pro-capitalistes aux anti-capitalistes, l’éventail est large. Pour ma part, il me semble que si le capitalisme industriel du XIXème et du début du XXème a permis à nos pays de sortir d’une pauvreté endémique et de nombreux progrès, le capitalisme financier qui s’est développé depuis les années 1980 est devenu complètement « fou » et fragilise nos sociétés, notamment les plus pauvres, comme le montre le chapitre consacré à ce sujet : c’est devenu l’argent pour l’argent par la spéculation financière, le culte de Mammon, la mainmise des traders sur nos vies. A mon sens, l’argent et les possessions matérielles ne sont pas mauvaises en soi : nous en avons, de fait, besoin pour vivre. Mais c’est l’usage qu’on en fait et l’importance qu’on leur accorde qui peuvent poser un problème. Or, il semble que l’argent et les possessions matérielles aient un pouvoir de « séduction » particulier, d’où les mises en garde sévères de Jésus contre l’idolâtrie de l’argent et des biens matériels : consciemment ou inconsciemment, on met sa sécurité et sa confiance dans ses biens plutôt qu’en Dieu seul (c’est le malheureux exemple de l’homme riche). En ce sens, l’argent et les biens matériels doivent être remis à leur juste place : de simples moyens de subsistance. Il doit y avoir une sorte d’indifférence. Il est intéressant de noter que Paul se contente du nécessaire pour vivre. C’est une invitation à la sobriété. Mais si nous avons plus que le nécessaire, alors notre superflu ne devrait-il pas servir à aider ce qui sont en manque ? Si. C’est en tout cas le principe qui doit se vivre dans l’Eglise comme poteau indicateur du royaume de Dieu dans cette société : un rééquilibrage entre ceux qui en trop et ceux qui ont moins, de sorte qu’il n’y ait pas de pauvre en son sein.

Daniel : Sur la question de la possession matérielle, je soulignerai qu’il me semble que dans une société qui valorise beaucoup la possession matérielle, le pouvoir d’achat, la consommation, nous avons besoin de reréfléchir à ce que peut vouloir dire : « développer un style de vie simple » pour parler comme la Déclaration de Lausanne. Cela peut vouloir dire différentes choses, mais il est important que chacun réfléchisse là-dessus. Comme le dit l’engagement évangélique pour une style de vie simple[1], il s’agit de vivre avec moins et de donner davantage. Cette question du style de vie, rejoint la question du contentement par rapport à nos besoins et de l’importance du partage. Dans le chapitre 6 de la première lettre à Timothée, Paul adresse aux riches du présent siècle l’exhortation d’être riches en œuvres bonnes. C’est John Stott qui faisait remarquer que Paul ne dit pas que c'est mal d'être riche, mais que si on est riche matériellement, il faut rajouter à sa richesse matérielle une richesse en œuvres bonnes. Je crois aussi que Jacques Ellul avait utilisé l’expression de profaner Mammon et que parfois il faut être capable de faire ce qu’on ne devrait pas faire dans le culte de Mammon, c’est-à-dire de donner de l’argent, d’être capable de partager, d’être capable de poser des actes concrets dans sa vie de tous les jours qui montrent que ce n’est pas Mammon qui me domine et que je sers. Finalement le cœur du problème reste le problème du cœur. Paul dit aussi que c’est en Dieu et non dans les richesses qu’il faut placer sa confiance. Encore une fois, le problème est notre cœur qui s’attache aux richesses à la place de Dieu et qui se ferme à notre prochain et ses besoins.

Rachel : J’aimerais faire le lien aussi avec e que Daniel à dit par rapport à la centralité de la gestion de la terre parce que nous voyons les effets de ce capitalisme sur la création. En effet c’est un cercle vicieux sur les être humains en situation de pauvreté. La Bible n’est pas un manuel de sciences économiques, néanmoins elle est très riche en enseignements sur ce que Dieu attend de nous en termes d’attitudes envers notre prochain. La Bible n’interdit pas la propriété, mais nous voyons dans la Loi que le Seigneur donne à son peuple comment vivre en tant que peuple de Dieu sous l’autorité de Dieu dans la terre que Dieu lui a confiée. Nous voyons comment Dieu met en place des mécanismes pour assurer la protection des plus vulnérables pour assurer une certaine équité (par exemple la loi du Jubilé dans le Lévitique). Il y a des mécanismes qui sont mis en place pour que les puissants ne puissent pas s’accaparer toutes les ressources du pays au détriment de ceux qui sont moins puissants, des mécanismes que la société peut mettre en place pour empêcher les riches de devenir toujours plus riches et les pauvres de devenir plus pauvres. Bien que la Bible ne nous donne pas des réponses toutes faites pour nous aujourd’hui, elle regorge de ressources qui peuvent nourri notre réflexion, pour comprendre qui est Dieu, qui est l’être humain, quelle est notre place dans la création, etc.

Daniel : Je voudrais rajouter que la question principale n’est pas le système dans lequel on vit, mais la manière dont on vit dans le système. Bien sûr, le système a son importance et il faut chercher à l’améliorer ou à le corriger mais cette importance vient en second.

9. Quel rapport devrait-on avoir avec le travail séculier ?

Daniel : Je pense que nous aurions tout intérêt à redécouvrir la pensée des réformateurs protestants qui voyaient dans l’accomplissement de sa profession l’accomplissement d’une vocation que Dieu adresse. Ce n’est pas seulement le pasteur qui répond à un appel divin, mais aussi l’agriculteur, le médecin, etc. J’aime citer ce mot du théologien Auguste Lecerf : « Toutes les professions, toutes les vocations honnêtes sont donc, non pas seulement égales, mais également saintes, et plus agréables à Dieu sont ‘‘celles qui apportent quelque profit à la société commune des hommes’’ (Calvin)[2] ». Nous devons réapprendre à regarder le travail séculier comme un lieu dans lequel on peut servir le Seigneur, et pas simplement parce qu’on peut évangéliser ses collègues, mais parce qu’on peut vraiment servir le Seigneur dans ce travail, comme Paul écrit aux esclaves de Colosses : servez Christ le Seigneur dans ce que vous faites (Col 3.24). Il y a donc vraiment un moyen d’être au service du Christ dans l’accomplissement de son travail.

Rachel : Je rajouterais que quand nous cherchons à apporter quelques profits à la société commune des hommes, il y a besoin de réfléchir sur le sens du profit parce qu’on est dans un contexte où la notion de profit est souvent vu en termes purement économique. En termes de dégradation environnementale et les effets à la fois pour les pauvres et pour les générations futures sont souvent cachés. Le chrétien cherchera à avoir cette réflexion qui est complexe et difficile. Comment est-ce que je peux, par mon engagement professionnel, être dans cette démarche de la gestion de la terre ? On revient encore à la Genèse et à la réflexion de comment être de bons intendants de la création que Dieu nous a confiée.

Marjorie : Le travail occupe une bonne partie de nos vies. Il ne peut donc pas être exclu de notre appel à témoigner en parole et en actes. Il est même sans doute un lieu privilégié où nous pouvons témoigner des valeurs de l’Evangile. Un sondage récent montrait que les évangéliques ne font pas le lien entre le dimanche matin et le reste de la semaine : c’est vraiment triste. Car mon travail, tout séculier qu’il soit, est à vivre comme une vocation, un lieu où Dieu me donne de le servir. C’est ce qu’ont remis au goût du jour les Réformateurs à une époque où le travail séculier était dénigré. Or, il me semble qu’on met toujours trop en avant les ministères au sens strict (pasteur, missionnaire, etc.) comme étant des vocations, et pas assez le travail séculier. Bref, il faut revaloriser le travail car, après tout, nous avons un Dieu toujours à l’œuvre ! En ce sens, travailler c’est imiter notre Créateur ; cela fait partie de ce que signifie être « en image de Dieu ». Mais attention à ne pas tomber dans l’extrême du work-alcoolisme qui revient à faire du travail une idole. Il faut travailler du mieux possible, mais savoir aussi s’arrêter et se reposer pour contempler l’œuvre de Dieu.

10. Avez-vous un dernier mot pour nos lecteurs ?

Daniel : Je dirais que l’une des choses qui est peut-être particulièrement intéressante dans le texte introductif de l’ouvrage, c’est le fait de se concentrer à un moment donné sur des grands principes qui peuvent guider une éthique sociale et de savoir faire la différence entre ce qui relève des principes et ce qui relève de questions plus techniques. Ces grands principes n’enferment pas, mais ils donnent de la place, ils ouvrent les portes et les fenêtres pour essayer de trouver une manière de mettre en pratique une éthique sociale. Réfléchir à partir de grands principes est quelque chose d’important dont nous avons besoin aujourd’hui.

Rachel : Une des choses spécifiques que la foi chrétienne peut apporter de particuliers à notre société est la capacité de la foi chrétienne de marier ces grands principes avec une préoccupation pour le relationnel. Nos principes peuvent parfois se scléroser jusqu’au point où nous oublions que la personne en face de nous est aussi un frère en humanité. En tant que chrétiens, nous ne pouvons pas diaboliser l’autre, même si nous avons des divergences sur comment organiser la société. Chaque être humain sur cette Terre est créé à l’image de Dieu, et nous sommes appelés à être dans une attitude d’écoute et d’humilité vis-à-vis de lui.

Marjorie : Inviter les lecteurs à lire ce livre avec le cœur « large et généreux » pour peut-être se laisser déplacer par rapport à leurs croyances et présupposés. Mais aussi et surtout, ensuite, se relever les manches pour passer à l’action !

Daniel : Je suis d’accord, d’autant plus que dans le livre, le premier principe est la valeur absolue de la personne humaine !

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